Antonia Alomar, joueuse et future avocate, revient sur le statut du poker

Antonia Alomar Pour ceux qui ne le savent pas, Antonia était sponsorisée chez Partouche fut un temps jadis. C'est une très bonne joueuse respectée dans le milieu. Mais la jeune femme est également élève avocate. Il y a donc une différence majeure entre elle et moi (outre le fait que ce soit une femme et que je sois un homme) : elle connaît le droit et son milieu alors que moi pas du tout. Son texte est donc extrêmement légitime! Il est très abordable, très clair, très bien argumenté... Bref! Je tiens à remercier publiquement Antonia pour ce superbe texte et surtout pour le temps qu'elle a pris à l'écrire! Donc mes chers lecteurs, mes chères lectrices, s'il vous plait, faites un petit effort à votre tour pour tout lire. Bonne lecture et un énorme Big Up à Antonia !

Poker : entre jeu de hasard, jeu d'adresse et de sport

Au niveau juridique, le poker a subi ces derniers mois des changements radicaux. Preuve d’une évolution dans les mœurs ou volonté de donner enfin au poker une qualification juridique précise, il ne laisse ni le législateur, ni le juge indifférents.
En quelques mois, le poker est passé du statut de jeu de hasard, au statut de « presque jeu d’adresse ».
L’évolution est aussi fiscale, le poker étant passé du jeu de hasard étant par principe, non imposable, à une activité lucrative devant être imposée, sous certaines conditions.
Alors si le poker n’est pas un jeu de hasard, qu’est-il vraiment ? Un jeu d’adresse, un sport ? Comment doit-il être traité ?

Ces deux axes de réflexion (jeu de hasard et fiscalité) s’appuient sur deux décisions récentes, tout d’abord l’affaire Petit du 21 octobre 2010, et l’affaire Z. du 16 juin 2011. Prenons successivement ces deux affaires. Il est important d’en rappeler les faits.

Dans la première il s’agit d’un joueur internet rattaché au foyer fiscal de ses parents, qui déclarent des revenus modestes. Le fils, sans profession, âgé d’une vingtaine d’années, avait perçu des revenus importants en 2004 et 2005. A l'issue des opérations de contrôle, une proposition de rectification concernant ces deux années fut adressée aux parents.
Rappelons que les gains tirés des jeux de hasard en France ne sont pas imposables. Le jeu est considéré comme une activité non lucrative.
Cependant, l’administration fiscale arrive à faire appliquer l’article 92 du Code Général des Impôts, applicable aux bénéfices non commerciaux, c'est-à-dire que le juge a considéré que le jeune joueur exerçait une activité non commerciale, comme un avocat ou un médecin, et qu’il doit être imposé sur les bénéfices réalisés. Comment est-ce possible ?
Le tribunal va considérer que le poker n’est pas un jeu de « pur hasard » (mais hasard quand même!), ce sont les termes employés. Mais le fait que ces revenus soient imposables est lié surtout au fait qu’il exerçait cette activité comme une activité professionnelle, ce que les juges ont vérifié par la technique dite du faisceau d’indices : importance des gains, participation à des tournois internationaux, en l’espèce, le nom du joueur apparaissait également sur plusieurs sites et il avait établi domicile au Luxembourg.
Pour résumer, le poker, même s’il est considéré comme un jeu de hasard raisonné, lorsqu’il est pratiqué dans des conditions professionnelles, doit être une activité imposée sur le revenu.

Cette décision me semble regrettable sur plusieurs points. Tout d’abord, à partir de quand considère-t-on qu’il s’agit d’une activité professionnelle à but lucratif ? Des gains tous les trois mois, six mois, sont-ils « réguliers » ? A partir de combien de tournois internationaux doit-on considérer qu’il s’agit d’une activité professionnelle ? Qu’est-ce qu’un gain important ?
Deuxièmement, la doctrine s’accorde à dire que «la pratique, même habituelle, de jeux de hasard tels que loteries, tombolas ou jeux divers, ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition au nom des personnes participant à ces jeux ». En effet, admettons quelqu’un qui travaille dans le monde du football depuis des années, qui fréquente les joueurs, qui connaît leur état de forme physique et mentale, ce qui peut être assimilable à un edge sur les autres parieurs. Admettons que cette personne réalise des gains réguliers dans les paris sportifs. A partir de quel moment franchit-il la limite de l’activité professionnelle et lucrative ? A priori, les paris sportifs sont assimilés au poker…

Cette décision pour l’instant n’a pas été confirmée et rappelons qu’il s’agit d’une décision de première instance, qui n’a qu’une valeur juridique très relative. Il faudra attendre d’autres décisions et autres arrêts des Cours d’appel.
Quoiqu’il en soit, il s’agit d’un cas d’espèce et non d’un principe qui a vocation a s’appliquer de façon générale, mais il est important de se tenir informé, surtout que les juges ne sont pas détachés de la tendance politique générale, qui va plutôt dans le sens d’une augmentation des impôts pour les hauts revenus, que l’inverse. On peut donc imaginer que l’Etat va plutôt tendre vers une imposition des joueurs professionnels.

Dans l’affaire Z. du 16 juin 2011, qui a fait l’effet d’un tremblement de terre pour les spécialistes français des jeux en ligne, les juges effectuent un revirement à 180° et s’accordent pour dire que le poker (dans sa variante Texas Hold’em uniquement) n’est pas un jeu de hasard. Il est évident que si cela vient à être confirmé, ce statut aura des conséquences également sur le plan fiscal, puisque s’il est considéré comme un jeu d’adresse, comme le bridge l’est à l’heure actuelle, les revenus tirés de l’activité du poker seront a fortiori imposables. Cependant, cette affaire ne concerne pas la fiscalité.
Quatre personnes ont été poursuivies pour participation à la tenue illicite d’une maison de jeux de hasard dans les locaux d’un club de bridge, où se tenaient des parties de poker régulières. Rappelons qu’il s’agit d’un délit puni de 3 ans d’emprisonnement et de 90000 euros d’amende.
Avec ruse, les prévenus ont donc fait valoir par une démonstration brillante, que le poker n’était pas un jeu de hasard et que par conséquent, il ne rentre pas dans l’application de la loi, qui ne concerne que la tenue de maisons de jeux de hasard !
L’argumentation de la défense s’est appuyée sur leurs résultats réguliers, ainsi que sur la présentation d’un classement français effectué sur plus de 1000 joueurs dont-ils faisaient partie (Monsieur Z. avait été classé 9ème et 7ème sur deux années consécutives), sur le fait que le hasard ne joue qu’un rôle minime et que , citant un des prévenus, « les meilleurs joueurs gagnaient tout le temps ». Un docteur en mathématiques, présenté également par les prévenus, a confirmé que la chance ne prédominait pas, et qu’il s’agissait d’un jeu qui s’approche du bridge.
Evidemment, sur quels autres arguments pouvaient-ils se fonder pour échapper à la condamnation ?
Il en reste que l’ensemble de ces éléments a emporté la conviction du tribunal, qui a procédé a la relaxe, faute d’éléments matériels et légaux. Seulement, c’est la première fois que le juge judiciaire rejette la qualification de jeu de hasard, alors que la Cour de Cassation et le législateur avaient préalablement dit l’inverse !

Si le poker est un jeu d’adresse, cette analyse n’est pas sans conséquence sur la récente libéralisation des jeux d’argent et de hasard en ligne, ainsi que sur l’éventuelle application du droit commun. Le poker doit-il continuer à entrer dans le champ d’application de la loi relative à l’ouverture du marché ? En effet, cette loi s’applique seulement « aux seuls jeux d’argent et de hasard, entendus comme des jeux payants où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence »
Finalement, on demande aux juges de répondre à une question à laquelle même les joueurs de poker n’ont pas de réponse: « quelle est la part de chance au poker ? » Vingt, trente, quarante, quarante-neuf pour cent, cinquante-et-un pour cent? Puisque le verbe utilisé par la loi est « prédominer », cela voudrait dire que pour être un jeu de hasard, la chance devrait intervenir à plus de 50%...
Mais juges Toulousains ne disent pas non plus expressément que le poker est un jeu d’adresse ! Ils indiquent simplement que les éléments invoqués les ont convaincus.

Considérer le poker comme un pur jeu d’adresse revient à en tirer des conséquences considérables: en effet, plus besoin de demander un agrément à l’ARJEL pour tenir un site de poker en ligne, possibilité d’ouvrir des maisons de poker…je vous laisse imaginer les possibles débordements, alors que l’affaire Full Tilt et Wagram sont encore toutes fraîches.

Il faut cependant relativiser cette décision du tribunal correctionnel de Toulouse, qui n’est qu’une décision de première instance, qui fait actuellement l’objet d’un appel. Par contre, plus important sera l’arrêt de la Cour d’Appel qui peut soit confirmer, soit infirmer cette décision.
Par conséquent, l’étude d’autres qualifications demeurent envisageables. Pourquoi ne pas admettre que le poker n’est pas un jeu mais un sport? En Lituanie, le poker a été reconnu officiellement comme un sport. En France, les échecs ont emporté cette qualification.
Il faudra peut être prévoir un autre système, avec un agrément plus souple que l’actuel, mais ce qui est sûr c’est que ce jugement offre de nouvelles perspectives, et ne laisse pas insensible la Fédération internationale de poker qui s’investit depuis plusieurs mois dans des démarches visant à démonter que le poker est un sport intellectuel, notamment par l’organisation de tournois en duplicate.


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